Nicolas Pressicaud, "vélo-taffeur" et ex-consultant en mobilités douces publie le tome 2 de ses chroniques cyclo-logiques (Pressicaud, 2013). L'ouvrage est un recueil de textes (comptes rendus de réunions publiques, de lectures, d'expériences…) initialement publiés sur son blog et écrits entre 2007 et 2012. Des mises à jour ont été apportées jusqu'en mai 2015. La problématique de l'aménagement et de la mobilité est abordée à travers un point de vue qu'il décrit comme cyclo-logique, soit la combinaison d'un esprit pratique, de préoccupations environnementales et d'un sens de la justice sociale. Fort de son expérience de cycliste et de consultant, l'auteur partage son constat de la faible considération avec laquelle le vélo est traité en France. Malgré un intérêt croissant pour la bicyclette en tant que mode de transport, les politiques cyclables sont timides et les aménagements souvent inadaptés. Outre les raisons liées au défaut de qualité des infrastructures et à l'insuffisance de cohérence dans les réseaux, c'est le mépris réservé au vélo qui est dénoncé ici. L'auteur se positionne en faveur d'une action transversale pour la mise en place de politiques cyclables.
2Il fait tout d'abord le constat qu'élus et techniciens dénigrent le vélo en tant que mode de transport. Dangereux, inadapté, réservé aux plus sportifs ou aux plus jeunes, le vélo souffre de forts préjugés notamment face à la voiture, et plus globalement à l'accès à la motorisation, qui "libère" l'homme de tout effort et lui offre de nouvelles possibilités. Au cours des réunions publiques auxquelles l'auteur a assisté, les questions qu'il a pu poser relatives aux politiques cyclables suscitent étonnement et mépris (p. 42). Le vélo n'aurait pas sa place dans les politiques de mobilité et encore moins en tant qu'alternative à la voiture. Dans le même ordre d'idée, les spécialistes de la mobilité active y sont bien souvent considérés en tant que militants et non pour leurs qualités d'expert qui sont, par conséquent, dépréciées (p. 12). Ces représentations limitent le développement d'infrastructures propres et de la pratique cyclique. Elles semblent être le fait de plusieurs facteurs.
3Premièrement, les aménagements cyclables sont inadaptés (discontinuité des pistes, détours provoqués par les sens uniques, boulevards infranchissables, arrêts intempestifs, absence d'abris sécurisés…) et suscitent un sentiment de dangerosité. Cette sensation, subjective, de dangerosité induite par la faible qualité des infrastructures amène Nicolas Pressicaud à se positionner en faveur du deux-roues motorisé, notamment pour des raisons d'accès à la mobilité. Or ces derniers, à cause de la vitesse à laquelle ils peuvent circuler et l'absence d'habitacles sécurisés, sont plus vulnérables que les cyclistes. À cet égard, la réflexion de F. Héran est fort pertinente. En effet, le terme "vélo" a peu à peu disparu du vocabulaire des instances décisionnelles au profit du "deux-roues léger non motorisé". Cela a rapidement suscité l'amalgame entre les différents deux roues (motorisés ou non) et par conséquent, une surestimation du risque d'accident à vélo. Or ce sont bien les deux-roues motorisés qui sont plus vulnérables en raison de leur vitesse et l'absence d'habitacle. Il y a une réelle confusion statistique qui porte préjudice aux politiques cyclables puisque les techniciens continuent de penser que le vélo est "dangereux" (Héran, 2014 : 108).
4La seconde cause du dénigrement du vélo dans les politiques publiques est le contexte français de périurbanisation. L'étalement urbain et l'accroissement parallèle de l'offre d'infrastructures (autoroutes, trains à grande vitesse) ainsi que les services de liaisons interurbaines engendrent un certain report spatial des activités. Dans le même laps de temps, les individus peuvent se déplacer 5 à 10 fois plus loin grâce à leur voiture ou aux services proposés. L'accroissement des distances et l'impossibilité de franchir certaines infrastructures ne permettent pas une pratique fluide du vélo. À cet égard, Nicolas Pressicaud se positionne en faveur d'une ville dense qui minimise les déplacements. Rapprocher les services et les activités au plus près des habitants permet de diminuer les distances et favorise ainsi l'usage de la bicyclette. Selon lui, "la ville écologique est une ville dense en activités et en liens sociaux" (p. 28).
5Dans la deuxième partie de l'ouvrage, suite au constat de ces représentations et de leurs causes, Nicolas Pressicaud recommande la transversalité dans la construction de politiques cyclables. À travers la compilation de textes, il souhaite offrir aux étudiants, chercheurs, techniciens et élus les outils leur permettant de saisir les enjeux liés à l'aménagement cyclable pour les inscrire dans une vision globale et écologiquement responsable. Il préconise une mise en selle des acteurs afin qu'ils saisissent concrètement les difficultés rencontrées. "Un concepteur de voirie qui n'a pas "un vélo dans la tête", c'est-à-dire qui n'est pas lui-même cycliste utilitaire, ne comprend pas intimement ce qu'il conçoit lorsqu'il s'occupe de vélo. D'où la nécessité qu'il travaille en concertation avec des cyclistes utilitaires. Mais c'est encore mieux s'il le devient lui-même : il sera à même de comprendre les réactions et avis des usagers et évitera de reproduire des erreurs précédemment commises" (p. 43).
6En abordant diverses thématiques liées au vélo (la mobilité des jeunes, des femmes, des personnes âgées, la précarité sociale, l'urbanisation et l'enclavement, la ruralité, le dogme technologique), Nicolas Pressicaud se positionne comme observateur critique et décrit le large panel des représentations liées au vélo au sein des instances décisionnelles et sphères d'influence. Il est instructif de constater que le vélo est majoritairement relégué au second plan. Cet ouvrage permet d'élargir et d'offrir à un public non-averti les enjeux liés à l'aménagement du territoire et l'organisation des mobilités, le tout inscrit dans une vision profondément écologique.
7Toutefois, ce recueil de textes s'adressant à un public spécialisé (étudiants, chercheurs, militants associatifs, professionnels et responsables politiques), on regrette que certaines réflexions ne soient pas plus étayées notamment sur les causes du dénigrement du vélo. L'auteur écorne la surface du problème en évoquant le lobbying du rail. Or, la question du lobbying industriel est primordiale dans la construction de politiques publiques (et plus précisément cyclables) et l'aménagement ou non d'infrastructures. Leur pouvoir d'influence est considérable, sur les acteurs publics notamment, car ils véhiculent l'idée d'attractivité économique dans une société connectée et interdépendante. De même, on peut s'étonner que l'option du deux-roues motorisé soit fortement mise en avant, alors qu'elle n'est qu'une solution très partielle au problème des aménagements cyclables inadaptés.
8Finalement, il ressort de ce recueil de textes une certaine ambivalence. L'aspect "chronique" et anecdotique des textes est séduisant notamment pour traiter de politiques publiques. Néanmoins, l'auteur se retrouve souvent dans une simple position d'observateur là où on aurait souhaité des explications et des critiques plus approfondies.
Clémence PASCAL
DÉVELOPPEMENT DURABLE ET TERRITOIRES, avril 2017
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